Je vous écris d’un siècle lointain D’une autre planète Mon langage sûrement n’est pas le vôtre Ni les voix Ni les mots Ni les codes Et je pense aux peuples évanouis Dont nul ne comprend ce qu’ils ont écrit Pourtant j’ai marché sur la piste Et je marcherai Sentes boueuses Caillouteuses Le temps d’un soupir Et je dirai le buisson Le buisson des pèlerins Épineux Sec J’ai noué à sa branche un brin de laine Rouge J’ai accompli le rite Dont les raisons se sont perdues Les vents se sont étouffés Pendent mille brins Bandelettes et rubans Inertes Depuis des temps très lointains Et venus de pays inconnus Tous les pèlerins ont ici accompli le rite Le buisson d’épines semble un fantôme Un épouvantail à moineaux Mais il n’y a pas de moineaux ici Et quand se lève le vent C’est en vain que le buisson agite ses guenilles Commémoration ? Prière ? J’ai attaché un brin de laine rouge Que décolorera le temps longtemps Sentes fangeuses Caillouteuses J’ai marché sur la piste Et je marcherai Le temps d’un soupir J’ai posé ma pierre Sur le cairn au bord du chemin J’ai accompli le rite Comme tout pèlerin qui passe ici J’aurai posé une pierre sur une autre Prière Ou bien commémoration Marque d’un code perdu ? Croix sur un treillis de grillage Deux brindilles en croix Prières ou mémorials ? Milliers de croix toutes petites Les rites sont accomplis Ô vous pour qui j’écris cette lettre D’un siècle lointain Et d’une autre planète Le vent aura depuis longtemps arraché le buisson d’épines Le cairn aura disparu sans aucun doute Et les brindilles des croix Je suis passé là Pèlerin d’un siècle oublié
C’est à Dahran Bahrein Ou bien Abou Dhabi Des lampadaires éclairent la nuit C’est dans le désert Les autoroutes filent Rectilignes Des torchères flambent Des pontons Des navires Des feux clignottants Blancs Verts Rouges Et puis un tapis de lumières Là où se devine la ville
Atterrissage en douceur Dunes à droites Dunes à gauche
-”Mesdames et Messieurs les passagers sont priés d’enfermer dans les coffres à bagages les magazines qui sont en leur possession et les bouteilles de boissons alcoolisées ...”
Ma voisine ajuste le voile qu’elle a sorti de son sac : Elle descend ici
-” Quarante cinq minutes d’escale”
Bancs de bois Limonades Pas une présence féminine Mais la boutique hors-taxes ! Torrents de rubis de saphirs de diamants d’émeraudes Il y a même des voitures de sport et des limousines...
11.02.07
La Vie Vagues lentes longues Haleine profonde Mais qui donc ici respire paisiblement ?
Un oiseau blanc flotte Montant descendant Au rythme de l’océan
Tout à coup L’eau se met à bouillir L’oiseau s’envole
Étincelles ardentes par milliers Le fretin saute Frénétiquement
Venus d’on ne sait où Les oiseaux plongent Par centaines en criant
Les thons chassent en bancs Passent leurs grandes ombres bleues L’océan bouillonne plus encore
Viennent d’autres ombres plus sombres Et ce sont les thons qui sautent Haut et virevoltant Les poissons-volants se dressant Fuient à la godille éperduement zigzaguant dans tous les sens
C’est la vie qui se manifeste ainsi De la mort jaillit la vie Et la vie ne se maintient que par la mort Puis en un clin d’oeil le ciel et l’océan se vident
5.02.07
Bonzes bonzillons Robes couleur d’orange Vont en file lente Un vase entre les mains Crâne nu Une épaule aussi Les pieds nus dans des sandales
Certains sont des enfants D’autres des vieillards Chaque matin ils passent en file lente Les femmes les attendent L’une offre du riz L’autre des fruits Les bonzes saluent et remercient
Chaque matin ils passent En file lente Puis ils retournent à la Pagode Sont-ils si différents Ou bien c’est seulement la couleur qui change ?
Soudain le voile se fendit Comme si quelqu’un ouvrait une fermeture à glissière
La montagne parut tout entière Dorée En pleine lumière
Deux tours de basalte séparées du haut en bas par une brèche vive Puis la brume se dissipa tandis que se levait le vent
Dans l’uniformité des landes étaient sertis trois lacs L’un bleu L’autre gris Le dernier d’émeraude Un glacier avançait le front jusqu’au bord de l’eau
Les genêts en fleurs formaient une incroyable chasuble brodée d’or Un guanaco dressa la tête Passa un couple de renards bleus
Un matin J’ouvre mes fenêtres Le ciel est lourd Noir L’air est chaud Les crapauds ont mugi toute la nuit Il pleuvait à verse tout à l’heure La mousson est arrivée * Une digue a dû lâcher Sur la terrasse du jardin Des poissons se promènent De toutes les couleurs
Une dame créole frappe dans ses mains Brusquement il pleut Il pleut des oiseaux Une averse d’oiseaux Drue D’où venus Nul ne saurait le dire A cinq heures chaque jour Jaunes Orange Rouges Une centaine d’oiseaux Semblables à des serins Ils picorent les grains Sous la varangue Et repartent comme ils sont venus Tous ensemble Vers une autre maison Où quelqu’un les appelle
Du haut de la colline La Virgencita berce la cité entre ses bras Les neiges des Andes Lui font un manteau blanc * Pourtant ils sont venus à cheval Arrivant de la lointaine Castille Ils ont posé leurs cuirasses Ils ont bâti la ville * Pedro de Valdivia caracole encore sur la Plaza de Armas près de la cathédrale barroque qu’offense une tour de verre * Le fleuve Mapucho a roulé des flots de sang que l’eau des glaces n’a pas encore lavés * Sur la Plaza de Armas Le visage brisé d’un Indien est inscrit dans le granit Comme un reproche Ou bien comme un remords
Il a des battements d’ailes vibratoires si rapides que l’on ne voit que le reflet de ses couleurs métalliques. Il arrive d’un trait, rectiligne, venu l’on ne sait d’où. Il s’arrête tout aussi subitement, devant une fleur d’hibiscus épanouie. Il fait du sur-place un moment, plonge son bec tout au fond du calice, son bec qu’il a fin et recourbé vers le bas. Les battements de ses ailes s’accélèrent. Il suce le suc de la fleur. Il prend du recul ... Eh oui, il peut voler à reculons! J’ai eu la chance, un jour, de libérer un colibri qui était prisonnier d’une toile d’araignée, dans la haie de mon jardin ... Le nid du colibri tiendrait dans un petit verre à liqueur ... Sans doute pas tout à fait dans un dé à coudre.
Comment dire ? C’est un monde minéral En quatre jours j’ai vu un seul oiseau
Un rêve très étrange L’impression de planer sur un tapis volant Je glissais au-dessus d’un fleuve couleur d’étain vieilli Et le ciel aussi était d’étain On n’en voyait d’ailleurs qu’une lanière découpée Tout en haut Comme un couvercle faiblement halogène entre les falaises abruptes Vertigineuses Le navire avançant tout au fond d’une monstrueuse * faille de rocaille grise La nuit parfois scintillaient de froides étoiles Arbres morts Labyrinthes de très étroits canaux Fronts deS glaciers bleus Bouées noires Et l’épave d’un navire écorché Glaçons partant à la dérive Chutes d’eau Pas une fumée Pas une cabane Pas une vie L’impression très étrange de pénétrer dans un autre monde J’avais rêvé de grands voiliers à trois ou quatre mâts De baleines et de rorquals D’albatros Rien Rien que le canal lisse Unicolore Muet J’avais rêvé d’orpailleurs De trappeurs De guanacos en liberté Je n’ai rencontré rien de tout cela Mais contemplé L’indicible et effrayante beauté 7.01.07
Chuintement des réacteurs continu Dans le hublot la soie de la nuit * Mais les villes une ville dans la nuit Dix mille mètres Téhéran tapis magique arabesques et couleurs Ou bien l’on pense à l’art des verriers Rosaces des cathédrales Iris pivoines nymphéas rubis saphirs opales aigues-marines oeil de tigre oeil de chat améthistes pierres de lune topazes par milliers plumage versicolore du colibri Incroyable manteau des amants de Gustav Klimt jeté sur les déserts d’Ispahan * Dubaï posée sur l’eau phosphorescente torchères allumées Dahran où clignotent les feux des navires méthaniers Longues avenues halos des réverbères par milliers * NewYork dans un océan d’obscurité traversé de fleuves de lumières se coupant à angles droits estacades sur lesquelles glissent en permanence les phares des automobiles * Hambourg Amsterdam Les flambeaux des usines Les feux des forges toujours allumés Et l’infime étoile qui scintille seule dans la nuit au beau-milieu de l’Alaska ou de la Patagonie 05.01.07
Ni les poissons casaniers Papillons aux jardins du corail Ni les prédateurs embusqués Mais les grands voyageurs Conduits par d’insatiables faims Qui parcourent les vastes océans
Ce sont des êtres de grande race A la musculature puissante et souple Leur peau est bleue souvent, niellée de filets d’or Ils vont en grandes compagnies Qui les mène ? Où leurs guides, leurs cartes leurs balises ?
L’espace est infiniment multidirectionnel En haut ? En bas ? - Qu’importe ! A gauche, à droite ? Et si rien n’importe, pourquoi ces brusques changements de direction ? Quel est le Chef ? Qui est le Roi ?
D’un vieux tronc d’arbre flottant ils feront un prophète ou leur dieu
Toile de Gérard Stricher Le volcan Yassour est le nombril du monde Comme il se doit De son cratère sont sorties Toute matière et toute vie Renaclements rugissements Vomissements nuages noirs nuages gris Des gloires de fusées dans la nuit De temps à autre tremblements Plaine de sable noir Bombes chaudes encore Le lac Siwi d’un vert léger Ou jaune soufre Fumerolles sources bouillantes Un malheureux pandanus accroche ses griffes à la pente Tout ici est sacré Angoissante mesure de l’homme L’autre nom de ce volcan est celui de Dieu On ne le prononce pas.
Tout va bien Nous avons quitté Santiago depuis près d’une heure Les réacteurs chuintent régulièrement Ma voisine dort La cabine est emplie d’une lumière douce Pas un cahot Nous survolons la Cordillère des Andes Cachée sous une mer de nuages Ininterrompue D’un blanc luminescent Nous allons vers Puerto Montt
Trouée Montagnes enneigées Vallées Longs torrents étroits Rectilignes Glaciers Pas une vie
A nouveau les nuages Seuls émergent les sommets de trois volcans Incongrus Trois cônes parfaits D’où s’élèvent de légères fumées Le plus éloigné doit être celui du volcan Osorno Araucanie ! L’appareil plonge vers le terrain d’atterrissage L’Océan Chiloé !
Sentier très étroit Forêt d’avant le déluge A chaque instant on s’attend à voir un diplodocus Surgir Entre les fougères el les palmiers Cocotiers immenses Larges feuilles de taros Oreilles d’éléphants Mains ouvertes des philodendrons Pointes lancéolées de la vanille Palmes tombées jaunes ou rousses Un filet d’eau courante Mousses et lichens Une orchidée épiphyte Noix doubles L’inflorescence mâle est un phallus dressé On dit Il faut le croire On dit que par les nuits sans lune Les cocotiers de mer s’en vont deux par deux Au fond de l’océan Lorsqu’ils reviennent Ils ont produit des noix Faut-il y croire ? .....